Pour ce plasticien “hors-format” venu de Kinshasa, l’ombre est lumière. Orphelin déraciné puisant sa force dans les recoins de sa propre histoire Androa Mindre Kolo perçoit sa vie comme un riche matériau qu’il modèle pour en faire performances, collages ou installations rendant hommage à la ville-monde qui l’a fait grandir.
Né sur le territoire d’Aru en République démocratique du Congo, le tout jeune Androa perd son père alors qu’il n’a que trois ans. Après des obsèques qui marqueront à jamais son esprit et son œuvre où le deuil et l’absence sont centraux, son oncle le prendra sous son aile protectrice, à Kinshasa, (trop) loin de sa mère. Pour lui, la capitale de la RDC est une ville-miroir aux mille visages. Les travaux artistiques de ce caméléon au « cerveau en puzzle », s’adaptant à tout mais se sentant étranger partout, sont fortement imprégnés de l’essence de la bouillonnante métropole.
Très jeune déjà, pour s’évader, voyager sans avoir besoin de quitter sa chaise (voir son collage La Bellevirtuelle, le montrant chevauchant un siège volant), Androa se fagote comme un prince avec des nippes non griffées mais diablement fringantes. Sans le sou, il écume les friperies pour dénicher accessoires extravagants, pantalons élégants et chemises à jabot lui donnant des airs de Roi de France. Celui qui considère sa peau comme « un costume biologique », aime ajouter des couches, s’apprêter, se couvrir d’une parure / bouclier qui le protège. « L’art de la sape m’a permis de surmonter les épreuves et d’aller vers d’autres contrées, me transcender. Certains de mes costumes sont sacrés, pourvus du pouvoir de capter l’œil et l’esprit du spectateur lors de mes actions », affirme-t-il. En 2009 sur le Vieux Port de Marseille, le « sapeur clandestin » rend hommage aux migrants qui traversent la mer, cachés au fond des cales de navires pour se rendre en Europe au péril de leur vie. Lors de cette Performance Mikiliste, il dialogue avec les flots marins dans un habit de SDF navigateur fait de sacs en toile, d’objets en plastique, d’un masque, d’un tuba et d’une bonbonne. Un scaphandrier à l’image de Kinshasa la « ville débrouille », une combinaison haute couture DIY pour vêtir ceux qui sont nus…
Diplômé de l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa et de la Haute école des arts du Rhin, ce créateur au corps « émetteur et récepteur » fascine ses professeurs qui ont de suite vu son incroyable potentiel. François Duconseille se souvient de sa première rencontre, il y a une quinzaine d’années à Kinshasa, avec « un artiste charismatique capable de se mettre en scène avec une grande grâce et un sens aiguisé du contexte où il agit. » L’enseignant à la HEAR et son collègue Jean-Christophe Lanquetin l’embarquent alors dans leurs aventures scénographiques au sein de leur collectif ScU2 pour des interventions dans l’espace urbain, notamment auprès de l’immense performer Steven Cohen. Lorsque la chercheuse du CNRS Dominique Malaquais monte Kinshasa Chroniques, vaste panorama congolais regroupant 70 artistes à la Cité de l’Architecture, c’est tout naturellement qu’elle se tourne vers Androa, pour exposer ses œuvres, mais aussi pour co-commissionner l’exposition.
La démarche d’Androa Mindre Kolo, « à cheval entre les arts plastiques et le spectacle vivant », pétrie d’afro-futurisme magique et d’introspection mélancolique, a séduit bien des structures qui lui sont fidèles, comme Pôle Sud à Strasbourg avec qui il collabore régulièrement. Joëlle Smadja, sa directrice, résume et nous confie : « Le travail d’Androa tient du sacré et du païen. Il s’empare de sujets graves (la mort, le deuil…) et les transforme en rituels ou œuvres joyeuses, généreuses. Il a le talent d’être authentique et complètement impliqué, souvent physiquement. C’est un artiste qui se revendique comme tel et un performeur qui ose agiter les esprits. » Pour le Centre de développement chorégraphique national, Androa Mindre Kolo rêve de mettre en scène son passé et d’imaginer son avenir, pourquoi pas en partageant la vedette avec sa mère qu’il a récemment retrouvée… trois décennies plus tard.
Le site d'Andre Mindre KoloKinshasa Chroniques, jusqu’au 5 juillet à la Cité de l’Architecture & du Patrimoine à Paris (scénographie signée Jean-Christophe Lanquetin) – www.citedelarchitecture.fr
Emmanuel Dosda • Publié le 29 janvier 2021