Étienne Haan, diplômé en composition de l’Académie supérieure de musique–HEAR en 2017, a été admis à la prestigieuse Casa de Velasquez pour une résidence d’un an. Rencontre avec un compositeur engagé.
Étienne Haan commence la trompette à 8 ans. Ses années collège et lycée sont rythmées par l’apprentissage de cet instrument à vent. C’est au Conservatoire qu’il fait la découverte de la composition : “l’enseignement d’un instrument est très classique. J’avais envie de faire quelque chose de plus contemporain”, explique Étienne Haan. Il entre alors dans le cursus écriture au Conservatoire, “c’est de la composition dans des périodes historiques spécifique. C’était historiquement très intéressant mais le cadre était trop strict” poursuit-il.
Il se tourne enfin vers la licence composition en 2012 et goûte alors à la liberté. “Il y a tellement de choses à questionner dans la composition ! On doit se mettre nos propres contraintes pour ne pas partir dans tous les sens”, raconte Etienne Haan. Il suit les enseignements d’Annette Schlünz, de Philippe Manoury et Daniel D’Adamo, et ceux de Tom Mays en musique électronique.
Musica
Le festival Musica — festival de musique contemporaine et de musique expérimentale partenaire de le HEAR et organisé chaque automne depuis 1982 à Strasbourg — reste un moment fort dans son cursus à l’Académie. “C’est la première fois que je me suis senti comme un compositeur professionnel. Il y avait des moyens pour créer, il y avait une mise en scène, ce n’était pas scolaire mais un vrai concert devant un public”, se souvient-il. Lors des concerts “Jeunes compositeurs”, il présente les pièces Vivian… Connais pas! en 2014, Éclipse en 2016 et De coups et d’éclats en 2017.
Il poursuit sa formation à la Hochschule für Musik Hanns Eisler de Berlin, auprès de Hanspeter Kyburz. “J’avais tenté deux fois d’y aller en Erasmus mais sans succès. J’ai alors tenté le concours d’entrée après l’obtention de ma licence à l’Académie. Ça s’est très bien passé… 2h après la fin du concours d’entrée, j’allais prendre l’avion pour rentrer à Strasbourg quand j’ai appris que j’étais pris !” se souvient-il avec nostalgie.
Élitisme musical
À Berlin, le jeune compositeur travaille sur un spectacle de “vulgarisation de la musique contemporaine” (sic). “On vit toute l’année avec des spécialistes de notre discipline mais quand on se retrouve devant un public, il n’est pas forcément prêt et ne comprend pas toujours notre démarche. Mes parents et amis ne comprennent pas ce que je fais !” explique-t-il en souriant, “j’ai voulu composer une pièce en live dans laquelle les musiciens s’interrompent plusieurs fois pour que je puisse expliquer les enjeux de la musique contemporaine dans le but de la démocratiser”, poursuit Etienne Haan.
C’est avec ce projet similaire qu’il candidate en 2019 à la prestigieuse Casa de Velázquez (ndlr: qui accueille depuis 1928 des artistes, à travers l’Académie de France à Madrid, pour une résidence d’un an) et est retenu, aux côtés de 13 plasticiens et un autre compositeur. Son projet est de finaliser cette pièce qu’il imagine comme un véritable laboratoire d’écoute qui, en plus de refuser l’élitisme musical, portera un message engagé. Sensible en effet aux questions d’actualité, le jeune compositeur a choisi de travailler sur le thème du dérèglement climatique pour cette création particulière. “Je souhaite concevoir un concert traitant de la crise sociale et environnementale actuelle, plus particulièrement autour de la figure du lanceur d’alerte et de son passage à l’acte. Ce qui fait qu’un citoyen un jour se « réveille » et décide de sacrifier sa situation personnelle pour rester en phase avec ses valeurs et défendre un idéal sociale et politique” explique Etienne Haan.
Pièce engagée
Il compose une autre pièce très engagée cette même année sur les violences policières lors des manifestations des gilets jaunes. “J’étais effaré par le nombre de blessés parmi les manifestants. Constater que la police républicaine ne fasse plus simplement du maintien de l’ordre, mais use de violence envers les manifestants, je trouvais ça intolérable” raconte Etienne Haan. “J’ai passé du temps à visionner de nombreuses vidéos Youtube, filmées par des gilets jaunes, ainsi que des interviews et conférences de presse, dont je me suis servi pour composer ma pièce”.
La volonté d’écrire cette pièce appelé “Soulève-toi” vient aussi d’une constatation : “je me suis rendu compte de la complète ignorance de mes collègues allemands sur la situation en France. Il était très compliqué de trouver des informations fiables à l’étranger, la presse ne voulait pas en parler ! La pièce a eu pour but d’exposer à un public allemand et international une situation que je trouvais intolérable et dont personne ne parlait” poursuit-il. “C’est une pièce importante pour moi, car elle peut être dangereuse pour ma carrière. Le milieu de la musique classique étant parfois très conservateur, je crains que cela puisse me fermer des portes. Mais j’ai décidé de prendre mon courage à deux mains, parce qu’il me semble que c’était la bonne chose à faire.” conclut Etienne Haan. On ne peut qu’admirer la démarche.
Charlotte Staub