Diplômé de la HEAR, atelier Didactique Visuelle, en 2000, Bertrand Charles a fait de l’investigation son terrain de jeu. Après avoir touché les limites de la transmission de connaissances préétablies, il s’est épanoui dans l’exploration journalistique. Puis il a créé, en 2011, sa propre structure dans le champ du renseignement pour les entreprises… Retour sur un étonnant parcours, construit sur l’exigence de comprendre les coulisses de la société.
« Je suis entré à la HEAR sur la base d’un dossier de peintre. J’avais l’intuition que cette école pouvait emmener les étudiants très loin dans leur exploration personnelle. Tester de multiples outils permet de mûrir et de tracer sa propre route ! »
L’atelier de Didactique Visuelle lui apporte cette ouverture sur d’autres façons de transmettre des connaissances. Il lui donne aussi le goût de déconstruire les savoirs établis pour aller chercher sa propre matière première.
Aller à la source
Passionné par les rouages et les réseaux de pouvoir et d’influence qui dirigent la société, Bertrand Charles décroche sa place dans le groupe de presse Indigo Publications, qui décrypte ces sujets pour un public averti. Comme son nouveau patron lui impose de suivre une formation de journalisme en alternance, il découvre au CFJ (centre de formation des journalistes) des outils pour appréhender la réalité et toutes les méthodes de traitement de l’information. « Recruté pour apporter une culture de l’infographie dans un groupe de presse écrite, j’ai très vite eu carte blanche pour créer une rubrique d’investigation visuelle, qui consistait à produire une cartographie synthétique avec les résultats de mes enquêtes. En près de 10 ans, parallèlement à quelque 250 enquêtes, j’ai aussi contribué en tant que directeur artistique à faire évoluer le style du média entre papier et numérique.»
Mais poussé une nouvelle fois par son exigence de vérité et de profondeur, il quitte la presse pour suivre le Master d’intelligence économique de l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée, fondé à la fin de la guerre froide par l’ancien directeur des services secrets français, et crée, en 2011, Consors Intelligence, sa propre structure de renseignement pour les entreprises.
Un monde très secret
« Le monde du renseignement d’affaires utilise toute une palette d’outils, du très léger comme la veille digitale, aux totalement illégaux, comme les interceptions très offensives de données. Je n’ai retenu que ceux qui correspondaient à mes valeurs et à ma déontologie, au premier rang desquels l’interview de sources humaines, ce qui permet d’aller très loin dans un cadre strictement légal ».
Dans ce rôle, il gagne en profondeur d’investigation. Ses réseaux dans une soixantaine de pays lui permettent de décortiquer ces rapports qui structurent le pouvoir et les affaires et de « naviguer dans les couches profondes à très profondes de la réalité ». En 2015, un de ses amis proches, spécialiste issu des services de renseignement d’Etat, qu’il connaissait de sa ville natale, le rejoint comme associé.
Aujourd’hui, leur structure compte 8 collaborateurs, à Paris et Lyon, et s’appuie sur un réseau de spécialistes sur tous les continents. « Nous menons des enquêtes pour de grands acteurs économiques, jamais d’Etats ou d’hommes politiques, ni de sujets de défense ou d’armement. Quand on étudie l’opportunité d’un partenariat ou le potentiel d’un pays, nous proposons des options d’actions responsables, qui ne portent pas atteinte à l’être humain ou à l’environnement ; nous aidons les entreprises à prendre des décisions en pleine conscience. Nous sommes des agents économiques, nous travaillons le système de l’intérieur pour contribuer à résoudre ses désordres.»
Sortir du cocon
Attaché à ses racines, Bertrand Charles propose chaque année aux étudiants de la HEAR un atelier sur les stratégies d’investigation. « Les étudiants en Didactique Visuelle ont cette impertinence et cette irrévérence qui leur permettent de casser les barrières. J’espère les amener à s’immerger en profondeur dans leurs sujets, à construire leurs connaissances par l’expérience et chercher l’information sur le terrain, en prise directe plutôt que derrière un écran ou dans un livre ! »
Cet automne, il a mené 14 étudiantes en immersion sur le mystérieux site naturel du Taennchel, dans le massif vosgien. Une pratique qu’il expérimente personnellement depuis 15 ans pour retrouver un potentiel cognitif enfoui. Il prépare d’ailleurs un livre sur ce sujet. « L’école ne doit pas être un cocon, il faut nouer des relations professionnelles, acquérir des expériences avant même d’avoir son diplôme. C’est aussi un lieu plein d’énergies où se constituent des collectifs, pour expérimenter des pratiques artistiques personnelles. » Avec ses complices du collectif RYBN ou seul, il a toujours su garder du temps pour ses projets « plus expérimentaux qu’artistiques ». La face cachée du personnage.
Corinne Maix
(mise en ligne le 4 janvier 2021)
Live de musique électro expérimentale en 2007 au centre d'art Main d'Œuvres à Saint Ouen en tant que membre du collectif RYBN qui lançait le label de vinyles ArtKillArt
Site de l'atelier de Didactique visuelle