Diplômée en 2011 de la HEAR, atelier Illustration, dessinatrice à succès, Marion Fayolle a remporté tous les suffrages avec… un premier roman, Du même bois, où les mots sont ciselés, comme ses traits… Rencontre.
À la HEAR, Marion Fayolle a appris à développer son propre univers, son écriture. Avec Guillaume Dégé, professeur et responsable de l’atelier d’illustration de 2005 à 2018, elle a « compris qu’il ne s’agissait pas de performer, mais plutôt de s’appuyer sur mes singularités pour inventer mon propre regard, mon monde à moi. C’était aussi une période fondatrice parce qu’une aventure collective, une classe. Être entourée d’autant de personnes douées, c’était très stimulant. » Marion est devenue une illustratrice prolixe.
Pour la presse, elle remplit les pages de Télérama, Psychologies Magazine ou des prestigieux New York Times et New Yorker. La Tendresse des pierres, Les Coquins, Les faux Pas, Postillons, La Maison nue… : pour l’édition, elle signe des ouvrages chez Magnani, maison mère de bien d’autres diplômé·es tels Eugène Riousse, Simon Roussin ou Annabelle Buxton. Grâce aux Amours suspendues, toujours chez Magnani, elle empoche le Prix spécial du Jury du festival d’Angoulême 2018, en illustrant la complexité des rapports hommes / femmes. « J’aime mettre des images ou des mots là où ce n’est pas facile. Et il se trouve que les émotions, les pensées, les liens entre les gens sont invisibles, sont difficiles à voir, à comprendre ou à matérialiser. C’est juste là que je trouve du sens à dessiner ou à dire. Il s’agit de trouver une forme, une présence à des choses qui n’en ont pas. »
Son premier roman, Du même bois, raconte l’Ardèche rurale de son enfance et résume toutes ses obsessions, jouant des rapports d’échelle à la manière d’Alice au Pays des Merveilles. Un des chapitres Du même bois se nomme La taille-douce : il y est question d’acides qui mordent la plaque, d’impressions… « Dans Du même bois, je ne dessine pas. Pourtant les images sont partout, elles sont des fantômes dans le texte. Chaque chapitre est un tableau, une esquisse. Mon écriture est très visuelle et tout au long du texte, le dessin et la gravure sont aussi un fil conducteur. Je vois la famille comme une déclinaison d’images issues d’une même plaque, comme en gravure. Je questionne la ligne, les taches. Les gens se froissent comme le papier, les traits se dupliquent. Il est aussi souvent question de modèle. D’un modèle absent pour le personnage de l’orphelin, d’un modèle à réinventer pour la nouvelle génération. » Questions à l’autrice qui envisage l’écriture comme un travail de descriptions, d’images.
L’ouvrage Le Tableau montre une jolie jeune femme qui fait trois fois la taille du protagoniste amoureux. Dans ton premier roman, tu décris des enfants dans une cabane : « Et c’est vrai qu’ils sont grands dans leur petite maison, obligés de s’accroupir pour ne pas transpercer la toiture. » Qu’est-ce qui t’intéresse dans cette confrontation ou cohabitation entre le très grand et le tout petit ?
Marion Fayolle J’envisage souvent mes personnages comme des poupées gigognes, comme de grands corps qui en contiendraient d’autres à l’intérieur. Les personnages n’ont pas une taille réaliste, ils ont la taille de leur importance. Un grand amour, ça prend de la place. Un bébé aussi. Et c’est souvent pour ça que dans mes illustrations, les enfants sont si grands.
Dans Du même bois, les bébés sont appelés les « petitous » : ils portent la présence de leurs ancêtres. Il y a déjà cette idée dans ton ouvrage Les Petits…
Marion Fayolle Dans Du même bois, les « petitous » deviennent les petits tout. Ils sont un collage de gènes, de détails hérités de leurs parents et de l’ensemble de leur généalogies. C’est une idée que j’ai aussi souvent développée dans mes dessins… En effet, mes personnages ont des soucis avec leurs contours, ils ne sont pas des formes fermées mais se redéfinissent sans cesse. Ils contiennent d’autres corps en eux, ils se brisent pour se reconstruire autrement, ils se mélangent, fusionnent, ont plusieurs visages, ont des trous en eux que les autres viennent remplir.
Tu représentes des personnes comme des rochers rugueux dans La Tendresse des pierres et dans Du même bois, tu personnifies une horloge : « Un corps en bois », faite du même bois que ces générations de paysans décrites dans le roman. Nous formons un tout avec les éléments, le paysage ?
Marion Fayolle Mon travail fonctionne sur les métaphores et dans La Tendresse des pierres le père est un rocher. Mais ici, dans Du même bois, le paysage tout entier est presque un personnage. Quand le pépé meurt, le corbillard fait le tour de la ferme pour que le pépé puisse dire au-revoir à ses paysages mais aussi pour le paysage puisse le voir une dernière fois. Le climat, les montagnes, les tourbières, ces éléments racontent les sentiments, les états d’âme des personnages. Les crises de la gamine sont comme la foudre qui tombe et tue les vaches, les rochers se brisent comme les familles. La nature vient en prolongement des corps, raconte les gens. Elle n’est pas simplement un décor. Elle déborde sur eux, en eux. Et c’est aussi ce que raconte l’illustration sur le bandeau du livre. Comment les gens portent le paysage en eux, sur eux et comment la famille est un paysage commun, un puzzle…
Prenons quelques-unes de tes images : les lignes racontant l’histoire de l’homme qui s’amourache d’une faisane dans ton roman, les nombreux dessins de garçons ou de filles avec des sexes en forme d’animaux dans tes ouvrages illustrés… Surréaliste ?
Marion Fayolle Le lien entre les animaux et les humains est très présent dans mes dessins et encore plus dans Du même bois. Ici les gens vivent avec des bêtes, avec des vaches. Mais il y a aussi le personnage du beau-frère qui n’a pas de femme mais une poule faisane pour lui tenir compagnie. Les animaux sont partout, y compris à l’intérieur de la gamine, dans sa tête. Ils prennent le dessus sur elle, symbolisent à la fois son émotivité, ses colères, ses pulsions et la force de ses désirs.
Par Emmanuel Dosda
Portraits de Marion Fayolle © Francesca Mantovani
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Mis en ligne le 28 mars 2024