Metteuse en scène, comédienne, directrice de compagnie, plasticienne, pédagogue, Juliette Steiner se laisse porter là où ses envies l’entraînent, menant tout de front depuis sa sortie de la HEAR.
Dix ans après son DNSEP en scénographie, Juliette Steiner s’épanouit pleinement dans le champ du spectacle vivant. Jeune maman cette année, elle regarde avec douceur le chemin parcouru, avide de le poursuivre, l’ambition chevillée au cœur. 2024 restera une année « un peu à part », où il aura fallu repousser de quelques mois seulement la première de sa dernière grande forme (Une Exposition, au TJP en avril) afin de profiter de cet heureux événement sans compromettre deux ans de travail. Le temps file, mais la directrice de la compagnie Quai n°7, créée en 2016 en bordure de voie d’une gare alsacienne donne l’impression de toujours croquer à pleine dents dans le milieu culturel.
D’art d’art !
Il faut dire qu’elle est du genre fonceuse, portée par une motivation qui se nourrit d’engagements féministes et sociétaux. Après un Bac option théâtre aux Pontonniers, Juliette entre directement à ce qui s’appelle encore les Arts déco strasbourgeois. Elle se souvient avec joie de la grande liberté qui y était offerte. Après quelques mois en Communication en 2e année, elle bifurque en art, moitié No Name, moitié peinture. Ce n’est qu’en milieu de 3e année qu’elle rejoint l’atelier de Scénographie, de François Duconseille et Jean-Christophe Lanquetin, qu’elle intégrera jusqu’à son DNSEP/master Art, mention Scénographie obtenu en 2014.
« J’étais très jeune, c’était génial pour moi de pouvoir faire de la gravure pendant 5 ans, d’en réaliser une de deux mètres sur un avec un rouleau compresseur qui fissurait le plâtre pour y laisser des traces de brisure. » Déjà l’envie d’embrasser toutes les pratiques l’anime. La HEAR est « une boîte à outils sans pareille où l’on peut faire feu de tout bois », reconnaît celle qui est éternellement reconnaissante à Nasser Kehlifi qui l’a tant aidé à construire ses scénos dans l’atelier bois.
« Longtemps j’ai regretté d’être entrée trop tôt dans cette école, sans savoir encore qui j’étais. Mais je pense aujourd’hui que j’ai eu de la chance de pouvoir y être formée, et de m’y découvrir. On en ressort quand même avec un sens génial de la démerde ! » C’est aussi le temps des rencontres déterminantes, comme Roger Dale, les « cours les plus extraordinaires de ma vie », confie-t-elle, émue, retrouvant immédiatement l’enthousiasme d’alors. Quarante-cinq minutes de dessin au fusain sabotées par le maître piétinant au sabot les œuvres de tous les participants afin de dédramatiser la création et la valeur du travail. Elle y apprend comment mal faire, trouver sa liberté dans l’à-côté, dessinant en hurlant, dans le noir, ou à deux mètres du sol, devant sauter pour atteindre la surface suspendue. En un mot : « Trouver notre geste au-delà du joli dessin. » L’école a ceci de génial qu’elle lui permet de s’autoriser à essayer ce qu’elle aime, ou ce qui l’attire. « Il faut oser faire la touriste en allant voir ce qui se passe en métal, en lithographie… On a toute la vie après pour apprendre un métier ! »
Boulimie créatrice
Mais pourquoi un métier quand on peut en faire plusieurs ? Juliette Steiner s’y met – une nouvelle fois – très vite, sans toutefois échapper aux freins en légitimité qui l’assaillent. En 5e année, ses premières amours théâtrales la titillent toujours et elle s’inscrit au Conservatoire de Strasbourg, dans le cycle à orientation professionnelle. Suivront deux ans au Conservatoire à rayonnement départemental de Colmar, à l’issue duquel elle intègre la première promotion de L’Acteur studio, à La Comédie de l’Est, dirigée par Guy-Pierre Couleau. Tout s’accélère à l’arrivée d’Émilie Capliez et de Matthieu Cruciani qui l’associent trois ans à ce qui devient La Comédie de Colmar. Sa première pièce, Antigone, avait juste un an, sa compagnie trois. Juliette multiplie les projets, comédienne pour Sandrine Pirès (Bouche cousue), doublant chaque semaine la série documentaire 42 pour Arte, donnant cours à son tour au Conservatoire…
Après avoir relu les mythes antiques (Ismène et Antigone), elle se tourne vers l’écriture de plateau, entremêlant les différents vocabulaires de son équipe (lumière, scénographie, création musicale) : recherches plastiques, violences du travail et invisibilisation des femmes dans l’art sont au cœur de ses trois dernières pièces : Services, H.S. et Une exposition. L’arrivée de Kaori Ito à la direction du TJP de Strasbourg lui permet de rejoindre le comité d’artistes du Centre dramatique national. Elles préparent ensemble une création à destination des tout-petits (MOÉ MOÉ BOUM BOUM) pour le festival Momix de Kingersheim, en 2025 : un rite carnavalesque, jouant du son (créé en direct) et de la transformation physique. Ses engagements la poussent aussi à être membre fondatrice de l’association HFX Grand Est, qui œuvre pour l’égalité entre les genres dans la culture.
Par Thomas Flagel
Mis en ligne le 11 juin 2024