Son moteur? la satisfaction de construire des solutions. Mais ce qui a l’a orientée vers le design plutôt que vers une formation d’ingénieur, c’est cette acuité aux matières, couleurs, formes et volumes, le plaisir de les modeler pour résoudre une équation. Diplômée de la HEAR (DNSEP/master Design, 2013), elle est designer industrielle et notamment créatrice de la marque de sacs à dos urbains et modulaires Along, au référencement pointu ! Rencontre avec Alix Paoli, entrepreneure presque malgré elle, portée par la flamme créatrice mais connectée au réel, avec le bon sens (inné?) du marketing. Une créative terre-à-terre, selon ses propres termes.
Une philosophie pratique : porosité et apprentissage continu
Celle qui à la fin de son mémoire dédié à “la culture de champignons sur les résidus agricoles” car passionnée de bio, de science, écrivait dans une sorte de lettre au Père Noël son envie de “travailler avec des ingénieurs, des scientifiques…” a vu son voeu exaucé !
Fondateur, son début de parcours au sein de start-ups, la voit développer l’avant-projet et les prototypes d’un jeu connecté interactif musical chez Phonotonic, puis des premières semelles à capteurs de pression au sein de Feet me. Embauchée en qualité de prototypeuse plus que designer, elle dégaine néanmoins les multiples cordes de son arc et propose très vite d’imprimer en 3D, de revoir le packaging, refaire le logo… Ce qui la mène à intégrer Dreem en tant que responsable du département design industriel et ergonomie où elle planche sur la conception d’un bandeau connecté pour la mesure du sommeil.
De ces immersions professionnelles, Alix gagne en compétences à large spectre ! Outre la maîtrise des matières (textiles, matériaux souples, injections plastiques, silicone), des techniques d’ assemblage (moulage, découpe laser, impression 3D, couture…) et des nouvelles technologies de fabrication additives – qu’elle acquiert avec une gourmandise intacte, elle y aiguise sa méthodologie de projet – notamment la méthode Human Centered Design – intégrant l’utilisateur dans le processus de création et qui va nourrir son approche par la suite, notamment pour sa propre marque…
Le métier acquis par “porosité” lui permet, en tant que designer freelance, de proposer aux entreprises – au-delà du design de produit – un accompagnement sur le cycle complet du “design thinking” : interviews utilisateurs, définition des besoins, maquettes, tests, cahier des charges.
Cette méthode, elle l’a appliquée et peaufinée pour la création de sa propre marque : Along
Elle ne se rêvait pas cheffe d’entreprise, a priori. “Concours de circonstance, je me suis retrouvée avec du temps devant moi après une rupture conventionnelle. L’impulsion première a été l’envie d’ouvrir l’horizon, de voyager… donc le besoin de sac à dos est apparu ! J’ai imaginé mon sac idéal, en mode design-thinking, j’ai partagé et testé via un questionnaire dans mon entourage, mon réseau. Et les 300 réponses reçues, enthousiastes, m’ont confirmé l’intérêt de mon concept, m’ont boostée à créer une maquette, un prototype, puis à lancer un crowdfunding pour la production.” Quelque 62 000€ collectés, 580 pré-commandes et 800 sacs produits : la création d’entreprise et de marque en a découlé. Un chiffre d’affaires de 75 000 € la première année, 1100 sacs vendus depuis le début de l’aventure, l’embauche d’une salariée depuis 1 an.
Le produit – sac à dos modulaire adaptatif au cours de la journée (sport, travail, vélo, course, WE) nommé BASE – a un ADN affirmé, qui lui permet d’être référencé au Vieux campeur, corner Printemps, Nature & découvertes, Old Tricks… représentant 10% du CA – la vente étant réalisée à 90% via le site web propre de la marque. Le panier moyen est de150€, mais l’usage durable et multi-modal, car la responsabilité environnementale est dans la programmation d’Alix Paoli.
Joie et consommation raisonnée
Les valeurs de sa marque, incarnées, guident ses choix d’entrepreneur : ne pas élargir la gamme, mais augmenter l’usage du produit ! Après Plouf et Miam – modules étanches et amovibles, elle a encore une vingtaine d’autres idées (jeune parent, appareil photo…). Restera à lever les financements, mais elle croit au potentiel.
Sa vision : vendre juste le nécessaire, mettre en place une plateforme de reconditionnement, de location/prêt de ses sacs, pour encourager les modes de consommation moins dévoreurs de ressources. Elle continue, sans rien éluder, d’explorer l’ambition du Made in France. “Aucun sac technique n’est fabriqué à 100% en France aujourd’hui, c’est malheureusement impossible” constate-t-elle. Seul le petit sac banane a pu être entièrement réalisé dans l’hexagone et en matières recyclées. Pour le produit-phare, elle a imaginé la production par un fabricant tricolore, travaillé 6 mois avec deux couturières sans aboutir à l’échantillon conforme aux exigences et au niveau de complexité du produit. Partie remise…
Elle a également pensé fabriquer au Portugal, mais trop d’exigence en termes de quantité. Pour l’heure, elle a eu le contact d’un bureau d’études français en Chine et sa fabrication y est assurée dans des conditions de travail sans reproches, elle y veille, s’est elle-même rendue sur les lieux – la marque est transparente à cet égard.
Évidemment le ralentissement nommé Covid n’a pas épargné la petite entreprise (même si elle juge qu’il n’est pas seul responsable, le process était un peu lent). Trois ans plus tard, l’objectif de 120 000 € n’est pas atteint. “Je venais juste de recevoir les stocks et boum !“.
Jeune femme de terrain, Alix n’a pas eu à suivre une formation business ou marketing pour structurer son approche – mis à part quelques Mooc, notamment celui d’Ideo sur le design-thinking, qu’elle recommande. À l’écouter, toutefois une évidence : elle connaît parfaitement son marché, les produits concurrents (celui-ci un peu trop masculin, orienté performance, l’autre trop cher…) mais on la sent avant tout animée par l’envie de créer, en cohérence.
«Ce qui alimente mon énergie, ça reste vraiment quand je crée, quand je trouve – à l’épreuve du sensible.» Et d’ajouter : «Je veux que mon sac me mette la banane tous les matins! ».
Partage et transmission
Des «arts décos», elle a «gardé tous ses potes». Elle a adoré cette école pour cette précieuse liberté et le vaste champ d’expérimentations possibles. Elle se souvient avoir hanté les ateliers bijou – passionnée d’artisanat, puis photo – elle a longtemps pensé devenir photographe. Elle a apprécié et toujours su profiter des opportunités offertes par l’école de travailler sur des projets croisés avec des écoles d’ingénieurs, des entreprises… Elle doit d’ailleurs ses toutes premières impressions 3D à un partenariat noué par l’école avec un fablab, rue des Frères.
Elle intervient en école de Management et Business ainsi qu’en entreprise, pour enseigner la méthodologie du design thinking et faire part de son expérience entrepreneuriale. Parmi eux, l’EM Lyon, Marcel, Benext, L’ISEE, L’Oréal, le Schoolab.
Le site Along, sacs à dos modulaires
AlixPaoli - Design Industriel, Le site
Alix Paoli est diplômée 2013 – Master Design de produit, Haute école des arts du Rhin avec les félicitations du jury. En 2011, elle est partie en Erasmus à la Design Academy d’Eindhoven au sein du programme Man & Mobility.
Josy Coutret • Publié le 16 décembre 2021