Julien Boudart

On trouve chez les poètes-musiciens puis chez les philosophes de la Grèce antique une réflexion continue sur les pouvoirs de la musique, et sur le pouvoir acoustique en général. Cette réflexion est profondément ancrée dans un ensemble de conceptions et de rites religieux d’où il découle un certain partage du prestige et de la souveraineté entre le gouvernement politique, la divination et la musique. Le pouvoir acoustique, comme les autres formes de souveraineté, vient des dieux et engage un rapport avec l’invisible. Il présuppose une plasticité et une porosité des sujets humains, traversés et travaillés par des vies invisibles, fantomatiques, démoniques, divines. La musique et certaines sonorités sont des occasions d’un commerce particulièrement intense avec ces instances invisibles.
Dès lors qu’on reconnaît au pouvoir acoustique une telle ampleur, les questions musicales ne tardent pas à devenir des questions politiques ; les formes esthétiques deviennent un problème éthique. La philosophie grecque va se constituer à l’époque de Platon comme concurrente de la musique et de la magie ; en s’appropriant la question du pouvoir acoustique, elle va prendre à bras-le-corps ces conséquences politiques et éthiques de la musique et sera tentée de légiférer pour les encadrer.
Ces reformulations philosophiques de la vieille réflexion grecque sur la musique ont eu des conséquences culturelles considérables, jusqu’à maintenant. Mais qu’advient-il de la question si l’on refuse cette capture par la philosophie, qui est en partie une usurpation, et qu’on la repose depuis les pratiques du sonore qui peuvent être les nôtres ?

Julien Boudart est un artiste sonore et intermédia, musicien et chercheur. Il joue et agence des instruments électroniques depuis le milieu des années 1990. Les synthétiseurs analogiques et modulaires sont ses outils de prédilection. Il a travaillé pour le théâtre, le cinéma, la radio, joué dans des free parties, produit des installations, des concerts, des pièces électroacoustiques et des performances hybrides. Son travail théorique est presque aussi ancien. Ancré dans une réflexion politique et métaphysique contemporaine, il s’est manifesté par des revues et textes collectifs et par des rapports d’entraînement réciproques avec ses travaux artistiques. Depuis une quinzaine d’années, ses recherches théoriques portent plus spécialement sur les fonctions rituelles, politiques et religieuses de la musique et des spectacles, et sur les conceptions relatives au pouvoir des sons et des images dans l’antiquité grecque.

— Mardi 16 avril 2024 à 18h
HEAR site Art & Communication, Auditorium
1, rue de l’Académie à Strasbourg
Ouvert à tou·tes dans la limite des places disponibles