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Strasbourg, HEAR
Ce cycle de séminaires Effectivité de la relation, virtualité du contact : penser le milieu avec Winnicott donnera la parole à quatre intervenant·e·s, philosophes ou psychanalystes qui, à partir de leur champ théorique et/ou leur expérience clinique, engageront de manière située et actuelle l’enjeu qu’il y a à penser les processus ou les formes de (re)création d’un milieu. La seconde conférence Perdre contact, perdre confiance : de l’agonie primitive à la panique politique sera donnée par le professeur Jacob Rogozinski.
Perdre contact, perdre confiance : de l’agonie primitive à la panique politique
Selon Jean-Luc Nancy, “le contact, le contrat et la confiance sont trois fois le cum, l’avec, dans son exposition principielle”. En s’efforçant de penser ce qui fait communauté, il noue ainsi la question du politique (qui prend dans les temps modernes la forme du contrat), celle de la foi en l’autre et celle du contact, c’est-à-dire du toucher, de l’expérience tactile comme élément primordial de l’être-avec-les-autres. C’est ce noeud qui fait tenir ce que Freud appelle la “masse”, cimentée par sa confiance amoureuse envers son chef et par sa capacité à faire corps. En effet, comme l’a repéré Elias Canetti, celle-ci libère les individus de la “phobie du contact”, si bien que tout se passe dans une masse “comme à l’intérieur d’un même corps”. Or, l’incorporation des individus dans les différentes figures du Grand Corps ne se réduit pas forcément à une aliénation, à l’assujettissement des corps individuels par un pouvoir souverain. Peut-être cette incorporation répète-t-elle aussi sur un autre plan la relation originaire d’enveloppement et de portance qui caractérise le rapport de l’enfant à la “matrice transitionnelle”, au milieu primordial sous-tendu par la sollicitude maternelle. Il convient alors de s’interroger sur la perte de contact, la perte de confiance provoquées par la défaillance de la portance maternelle : par ce que Winnicott désigne comme une “agonie primitive” et sur la “crainte de l’effondrement” qu’elle suscite. S’il est vrai, comme l’affirme Claude Lefort, que la démocratie moderne se caractérise par une désincorporation du social, ne risque-t-elle pas d’entraîner une crise de cette “portance”, cet enveloppement narcissique et protecteur qu’offrait l’appartenance à un Corps collectif ? Cela permet-il de comprendre la défiance généralisée et les paniques identitaires qui se manifestent aujourd’hui sur le plan politique et mettent en danger la démocratie.
Jacob Rogozinski est professeur émérite à la Faculté de philosophie de Strasbourg, auteur de plusieurs livres situés au croisement de la phénoménologie, de la psychanalyse et de la philosophie politique, notamment Ils m’ont haï sans raison (Cerf, 2015) et Inhospitalité (Cerf, 2024).
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Effectivité de la relation, virtualité du contact : penser le milieu avec Winnicott
Donald W. Winnicott est célèbre pour avoir affirmé avec provocation le caractère originairement relationnel de l’existence humaine (« Un bébé, ça n’existe pas », c’est-à-dire un bébé séparé de son environnement). L’environnement n’est pas extérieur au psychisme, mais ne cesse de participer au processus de son individualisation, articulant au lieu de les opposer dépendance à l’environnement et autonomie de l’individu. Cette approche du champ de l’expérience subjective et de la vie psychique présente une certaine analogie avec la conception du milieu, où un vivant manifeste sa subjectivité en faisant émerger du monde alentour ce qui a une signification pour lui, en une relation génératrice où sujet et milieu se font l’un l’autre – c’est par son milieu que le vivant est sujet d’un monde. Toutefois, en interrogeant par le biais de la clinique comment se joue et se manifeste une relation génératrice, Winnicott inquiète de manière féconde la conception du milieu, puisqu’il y inclut une dimension créatrice. Le concept d’espace ou de phénomène transitionnel, en particulier, invite à penser l’effectivité d’une relation à partir d’un contact virtuel – « virtuel », car la relation s’y invente dans le jeu de ce contact sans référence à des possibles déjà conçus ou sentis, et qu’au lieu d’appartenir à la réalité du dedans ou à celle du dehors, il ouvre des passages de l’une à l’autre, pour peut-être en redessiner les frontières. Explorer les manières de créer un milieu à partir de Winnicott implique aussi de considérer les cas où il y a perte de contact, et où l’articulation créatrice entre virtualité et effectivité se défait, comme dans la « crainte de l’effondrement », unique et terrible possible, mais qui « a déjà eu lieu » (Winnicott).
Les intervenants du cycle :
Stefan Kristensen · Jacob Rogozinski · Stéphane Muths · Frédérique Riedlin
— Un séminaire initié par Sandrine Israel-Jost dans le cadre du Collège International de Philosophie.
Consulter le programme complet— Mardi 25 mars 2025 à 18h30
HEAR, salle 18
1, rue de l’Académie à Strasbourg
Entrée libre dans la limite des places disponibles
Possibilité de suivre la séance en visioconférence, lien ici