Invité·es et détail du programme
– Fumetto et fascisme : la naissance de la bande dessinée italienne
Le fumetto, ou bande dessinée italienne, a des racines riches et complexes qui s’entrelacent avec l’histoire politique et culturelle du pays, notamment durant la période fasciste. Le fumetto, en tant que reflet des tensions sociales et politiques, illustre comment un médium artistique peut être façonné par des forces externes. La bande dessinée reste un miroir de son temps, oscillant entre créativité et conformisme. La période fasciste, bien que restrictive, a paradoxalement contribué à définir l’identité du fumetto. Cette présentation revient sur les inventeurs de la BD italienne et leurs évolutions entre publics et ses censeurs.
Conservatrice honoraire des bibliothèques et historienne, membre du laboratoire du Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines (Université de Versailles Saint Quentin en Yvelines) Isabelle Antonutti étudie l’histoire culturelle. Elle a écrit une biographie de l’éditeur Cino Del Duca, qui figure parmi les créateurs du fumetto et fut l’inventeur du roman photo (Cino Del Duca, De tarzan à Nous deux, itinéraire d’un patron de presse). Sa dernière recherche porte sur l’arrivée des femmes dans les bibliothèques, « Les Bâtisseuses de la lecture publique”.
– Qui a peur des K et du Q ? L’aventure sulfureuse des fumetti neri
Dans l’Italie catholique et hypocritement puritaine des Années 60, les moralisateurs ont cru trouver la racine de tous les maux, la source de corruption de la jeunesse et de la perdition des femmes aux foyers, sans compter l’incitation à certains crimes : les fumetti neri ! En quoi ces bandes dessinées, de facture parfois bancale, dans d’autres cas portées par de grands artistes, passionnaient des millions de lectrices et lecteurs et pourquoi faisaient-elles tellement peur aux pouvoirs en place ?
Docteur en sémiotique, Camilla Patruno est aujourd’hui libraire (Librerie Maipiu à Tonnerre) après avoir été pendant 13 ans agente littéraire spécialisée dans la BD. Traductrice et éditrice free-lance, elle a animé des dizaines de conférences au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême et écrit de nombreux articles. Elle a co-fondé le Festival de BD L’Affaire Tonnerresol, dans le 89.
– Les pockets Elvifrance (1970-1992)
En France, de 1970 à 1992, sous la direction de Georges Bielec, Elvifrance publia quelque 4000 pockets de BD pour adultes, avec des tirages de 70 000 exemplaires dans les années fastes, le rythme de parution avoisinant souvent un pocket par jour. Il ne s’agissait pas de créations françaises, mais de traduction de séries italiennes. Isabella et Jungla ouvrirent le ban en 1970, suivies par Jacula, Terror, Outre-tombe, Vénus de Rome, Goldboy, Luciféra, Sam Bot, Thrilling !, Lucrèce… Policier, horreur, western, romance, tous les genres grand public étaient traités, assaisonnés d’érotisme. À l’été 1973, la censure tenta de couler Elvifrance en interdisant d’exposition huit de ses dix titres. Mais la maison survécut et continua de se développer, bien que contrainte par la censure au dépôt préalable : tout ce qu’elle publia passa désormais devant une commission de surveillance qui ne cessa de réclamer des interdictions.
Bernard Joubert est journaliste. Il a fondé et dirigé Dynamite, la collection de bande dessinée des éditions La Musardine, de 2002 à 2008. Spécialiste de la censure, il est l’auteur de nombreux ouvrages comme Images interdites (1989, Syros-Alternatives), Anthologie érotique de la censure (2001, La Musardine), Histoires de censure (2006, La Musardine), Dictionnaire des livres et journaux interdits (2007, Cercle de la Librairie) ou Panorama de la bande dessinée clandestine (2018, La Musardine). Il a consacré un ouvrage au chaotique parcours d’Elvifrance, Elvifrance, l’infernal éditeur (2018, United Dead Artists) et plus récemment une iconoclaste histoire des pets dans la bande dessinée, Flatulences en cases (2023, La Musardine)
– Subversion positive, érotisme expérimental : comment produire de la bande dessinée en milieu empêché
L’intervention s’articulera sur deux axes. Le premier, en partant d’exemples de productions de bandes dessinées populaires et ou « industrielles », mettra en lumière quelques trucs, astuces, copies, découpages, productions rapides et/ou en série, et ceci en les mettant en perspective avec l’histoire de l’Art.
Elle évoquera ensuite mes propres pratiques du dessin (associées également à des montages), dites « en milieu empêché », c’est-à-dire avec des contraintes de temps et de disponibilités.
Jean-Michel Bertoyas est un dessinateur, plasticien et auteur de bande dessinée. Venu sur le tard à la bande dessinée, un peu par ennui, beaucoup par amour du dessin, son travail est publié régulièrement par les éditions L’Association, Les Requins Marteaux, ou le Dernier Cri. Il déploie un univers hérité du surréalisme et de la contre-culture graphique des années 70 fait de collages, citations et érotisme. Dans le bouquin de la Bande Dessinée (éd. CIBDI/Robert LaƯont), à la lettre P comme Psychédélisme, Jean-Charles Andrieu de Levis note : « Et que dire de la fougue de Jean-Michel Bertoyas, dont les dessins sont aussi foisonnants que le récit semble désorganisé ? ». Depuis 2018, les éditions Adverse et Arbitraire ont décidé de joindre leurs forces pour rééditer l’ensemble de ses ouvrages auto-publiés, soit plus de 700 pages de bandes dessinées en six volumes. Ses travaux plus récents s’orientent vers des sujets sociaux, tentant un grand écart entre une bande dessinée populaire et des expérimentations décomplexées. Bertoyas planche actuellement sur un tome de la collection BD Cul, enfin, le Dernier Cri vient de publier un recueil de ses illustrations pour adultes. Depuis 2021, son travail a intégré les collections du FRAC Nouvelle-Aquitaine. Né en 1969, Jean-Michel Bertoyas vit et travaille dans le Beaujolais.
– Continente neri : Naissance d’une obsession
Heart of darkness, le célèbre roman de Joseph Conrad, explore la dérive criminelle d’un officier anglais au bout de l’horreur dans le Congo colonial. L’écrivain s’est, on le sait, inspiré pour ce récit de son vécu personnel, d’événements et de personnalités réelles, la folie et l’horreurs coloniale qu’il décrit n’ont rien d’une fiction. La réalité a sur le sujet de tragiques longeurs d’avance… Quel rapport avec la bande dessinée italienne ? Apparemment aucun. Mais les obsessions dont se nourissent les explorations artistiques tissent parfois des liens qui, pour être inattendus, n’en sont pas moins féconds et tenaces. Cette intervention tentera ainsi de décrire comment et pourquoi la bande dessinée italienne pour adultes a pris une part de plus en plus significative dans le travail de l’auteur jusqu’à en devenir le moteur : le coeur.
Yvan Alagbé est auteur de bande dessinée, fondateur des éditions Amok puis Frémok /FRMK. Enseignant depuis 2019 à la Haute école des arts du Rhin, il ambitionne de mener des recherches académiques sur les fumetti neri et la naissance de la bande dessinée érotique italienne
– Entre activité de recherche et travail d’autrice : étudier la bande dessinée/faire de la bande dessinée
Cette intervention abordera les résultats de la recherche intitulée « L’évolution du personnage féminin dans la bande dessinée italienne », ainsi que les enjeux culturels, iconographiques et discursifs soulevés par les diverses formes de représentation entre 1960 et 2000. Nous mettrons l’accent sur l’évolution du marché de la bande dessinée italienne, ses personnages et son rapport au féminin. L’intervenante présentera ensuite un aperçu de son activité d’autrice de bande dessinée, de sa formation et de ses débuts dans le monde éditorial italien. Il sera également question de sa résidence artistique à la Maison des Auteurs d’Angoulême, en décrivant les projets réalisés, les exigences à l’origine de ces travaux et l’apport de la recherche académique dans leur construction. En conclusion, nous discuterons de la possibilité de conjuguer activité artistique et recherche, notamment entre l’Italie et la France, et explorerons les limites, les apports et les avantages qu’un tel parcours peut offrir.
Benedetta D’Incau est doctorante, actuellement en train de mener des recherches sur « L’évolution du personnage féminin dans la bande dessinée italienne, 1960-2000 » à l’Université de Tours et à l’Université Ca!”Foscari de Venise. Elle a obtenu une licence en littérature italienne moderne à ‘Université Ca!”Foscari (2018), avec un mémoire sur les écrits autobiographiques dans la bande dessinée italienne, ainsi qu’un master en études italiennes à l’Université Alma Mater de Bologne (2020), avec un mémoire sur les influences internationales dans la production de bandes dessinées d’Andrea Pazienza. Elle collabore avec la revue culturelle italienne Nova Charta, où elle s’occupe de la section consacrée à la bande dessinée. Elle est autrice de bandes dessinées sous le nom de BeneDì, et a publié son premier roman graphique Il Racconto della Roccia en mai 2023 chez Coconino Press.
– Occhio segreto : un workshop européen sur la trace des fumetti neri
Retour sur le workshop réalisé à Bologne en coopération entre l’Academia de belli arte de Bologna, la LUCA school of arts de Gand et la HEAR. Après avoir élaboré des scénarios en distanciel à partir de titres empruntés aux fumetti neri, 14 étudiant-e-s de chacune des écoles partenares se sont retrouvé-e-s par groupes de 3 pour dessiner en moins de 5 jours un récit en noir et blanc de près de 100 pages. Le résultat est enfin à découvrir en exclusivité mondiale !