Les lundi 13 et mardi 14 mars, la HEAR à Strasbourg a accueilli l’astrophysicien, philosophe et poète Aurélien Barrau pour une visite articulée autour de trois temps forts. Description d’un triptyque à la fois scientifique et artistique.
Lundi • 16h • Auditorium • Balade cosmopoétique
Premier volet, une performance participative expérimentale sous forme de balade cosmopoétique, imaginée par l’étudiant Orion Ortega, l’enseignant Thomas Lasbouygues et avec l’implication d’étudiant·es volontaires toutes années et options confondues. Le principe ? Tenter de faire émerger des interactions spontanées et réciproques entre le récit cosmique narré par Aurélien Barrau et les écrits proposés par les participant·es et projetés sur les murs de l’auditorium.
Le résultat scénique était au rendez-vous, mais l’on pouvait ressentir des différences de langage et de rythme entre l’astrophysicien et les étudiant·es, ce qui a engendré une certaine complexité à créer une cohérence entre les interventions et à les mettre en relation. Cette expérimentation demeure néanmoins un moment fascinant de croisement des démarches, peut-être trop court (30 mn) pour permettre une réelle interpénétration des univers. Flânerie magique pour le public spectateur, un peu plus frustrante pour les participant·es donc. Comme en physique expérimentale, toutes les expériences ne se déroulent pas nécessairement comme on l’espère, mais toutes offrent en revanche un résultat qu’il appartient au scientifique ou à l’artiste d’interpréter pour en saisir les enseignements.
Lundi • 18h30 • Auditorium • Conférence radicale
Même lieu, autre public. Le rhétoricien Aurélien Barrau a donné une conférence ouverte sur la question de l’écologie, et plus spécifiquement à propos de l’urgent et indispensable besoin d’un changement de paradigme et de système de valeurs pour la préservation de la Vie sur Terre et la mise en place d’une civilisation plus juste pour tous les Vivants.
« Franchement… Ils sont si pauvres ces réels de jets privés, de piscines surchauffées, de yachts et de Porsches. Rien, absolument rien de ce qui fait sens, de ce qui compte vraiment, n’est là. Pensez à la musique, à la poésie, au sourire de l’être aimé, à une discussion autour d’un feu, au rire d’un enfant et aux larmes d’un artiste. C’est tout le contraire, presque littéralement, de l’aseptisé lisse et triste de ces univers surannés et ostentatoires. Ces méandres de rallyes organisés pour que les enfants demeurent dans leur bulle socio-culturelle, c’est si triste pour eux. Il faudrait les sauver, question de générosité ! »
Des constats difficiles mais essentiels, exposés en 18 points-clés et quelques traits d’humour à un public hétérogène, très attentif à cet état des lieux clairvoyant et courageux. Une invitation à regarder en et autour de soi pour mieux envisager des solutions créatives, collectives et systémiques, mais également un appel à apprendre de l’Autre.
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Mardi • 9h • Salle 35-36 • Quis es?
Apprendre de l’Autre, cela peut se faire dans divers contextes. Le workshop Quis es ? (« Qui es-tu ? » en latin), conçu par les enseignant·es Marie-Jo Daloz et Thomas Lasbouygues pour les étudiant·es en Année 1 dans le cadre du projet « Correspondance », propose par exemple « une manière d’engager le regard à imaginer ce que peut ressentir l’autre, à se déplacer du point duquel on voit généralement le monde et s’interroger sur d’autres manières de l’appréhender », explique Marie-Jo Daloz. Ce workshop s’est déroulé en plusieurs étapes successives. En premier lieu et après tirage au sort, chaque participant·e devait envoyer à un·e autre une carte postale dans les semaines précédant la rencontre. La deuxième étape de la démarche consistait ensuite à mettre en correspondance la carte reçue avec une idée et une création artistique originale. Le processus s’est clôturé par la restitution des travaux en présence d’Aurélien Barrau et la mise en commun des expériences.
Les rôles se sont donc inversés mardi et les « Année 1 » ont présenté leurs œuvres à un scientifique curieux de découverte et tout disposé à être à son tour, le temps d’une matinée, étudiant en art. La restitution s’est achevée par un échange collectif, sympathique opportunité de revenir sur les impressions de chacun·e et d’élargir les horizons de réflexion. Plusieurs thématiques se sont alors dégagées : le lien entre les démarches scientifique et artistique (l’art n’est pas qu’une affaire de ressenti mais un vrai travail de recherche), la place de l’art dans un système capitaliste et du capitalisme dans certains milieux artistiques, le caractère hégémonique et autoritaire d’une science qui prétend dévoiler la Vérité, ou encore la responsabilité qui découle de la puissance accordée à la science dans notre société. Une occasion pour Aurélien Barrau d’inviter les jeunes artistes à s’emparer de la science pour la faire devenir « une arme de subversion massive ».
Il fut un temps où l’art n’a pas été jugé essentiel. Ce voyage sur le fil reliant science et art a démontré l’exact contraire.
— Sur l’invitation de Muriel Boulier, bibliothécaire. Coordination pédagogique de Marie-Jo Daloz et Thomas Lasbouygues. Avec la complicité des étudiant·es impliqué·es dans les workshops.
Anaïs Jean • Publié le 28 mars 2023