À l’occasion de son arrivée en résidence à la HEAR, d’abord à Mulhouse puis à Strasbourg, l’artiste anglais Simon Whetham répond à quelques-unes de nos questions.
Parlez-nous de votre travail : qu’est-ce qui vous a conduit à mêler image et son dans votre pratique artistique ?
Je crois que même à mes débuts, lorsque je cherchais vraiment à ce que le public ou les auditeurs se concentrent sur mon travail sonore, celui-ci présentait une dimension visuelle. Quand on utilise des enregistrements d’environnements et d’activités, cela produit des évocations visuelles, même si le public ferme les yeux. Le fait de déplacer les sons dans l’espace – soit en déplaçant concrètement les sources sonores, soit en utilisant différentes enceintes – crée une sensation visuelle.
Ces dernières années, cependant, j’ai choisi de pleinement exploiter la dimension visuelle des performances et des installations, en tant que procédé permettant d’amener les gens vers l’œuvre. Si mon travail se concentre encore en priorité sur le son, les stimuli visuels offrent au public une voie d’accès vers l’œuvre sonore et permettent de susciter son intérêt.
Bien que j’aie été extrêmement impressionné par un grand nombre d’œuvres exclusivement sonores, je suis également fasciné par des œuvres sonores présentant une dimension cinétique, ainsi que par certaines performances physiques. C’est pourquoi je ressens évidemment le besoin d’intégrer ces aspects dans mon propre travail.
Avez-vous des influences artistiques particulières ? Pouvez-vous nous parler d’un·e artiste ou d’une œuvre qui vous inspire ?
Comme je l’ai évoqué plus haut, je suis influencé par des œuvres appartenant aux domaines du field recording (l’enregistrement de terrain), des musiques acousmatiques et électroacoustiques, de l’art cinétique, du land art, etc. Mais je crois que les artistes qui ont le plus profondément influencé mon travail sont celles et ceux avec qui – ou en compagnie de qui – j’ai travaillé. Je citerais notamment Eamon Sprod (connu sous le nom de Tarab), Gregory Büttner, Christine Schörkhuber et Ryu Hankil. Quand j’y pense, il y en aurait beaucoup d’autres ; mais si je mentionne ces noms en particulier, c’est parce que je continue à collaborer avec eux, parce que nous nous retrouvons dans un même lieu pour travailler ensemble. Cela dépasse le simple fait de collaborer sur des œuvres : en passant du temps les uns auprès des autres, nous apprenons à mieux nous connaître, tant sur le plan artistique que personnel.
Quels sont vos projets actuels ?
En ce moment, je me concentre sur deux idées différentes, dont certains aspects se rejoignent parfois. La première idée est celle des « Traceable Echoes » (« Échos traçables »), c’est-à-dire des traces physiques que peut laisser l’énergie sonore. Celles-ci ont pris la forme de dessins, de tableaux, d’installations et même de créations de land art. À l’origine, l’idée m’est venue après avoir été invité à participer à un projet d’œuvres d’art naturelles, organisé par le centre artistique de Tsukuba, au Japon. Plusieurs artistes avaient été invités à produire des œuvres pendant deux semaines sur le mont Tsukuba et, en dépit de l’absence d’enceintes ou d’électricité, on m’a demandé de créer une installation sonore ! J’ai réalisé une performance en utilisant des enregistrements de terrain et des objets trouvés, mais j’ai également passé du temps avec d’autres artistes qui utilisaient souvent des matériaux naturels dans leur travail ainsi que des outils afin d’interagir avec le site. Je me suis alors demandé comment je pouvais utiliser le son en tant qu’outil ou matériau pour créer ce type d’œuvres, ce qui m’a conduit à réaliser des expériences sur le terrain avec des enceintes et des amplificateurs récupérés.
L’autre grand projet se nommait « Channelling » (« Réorienter »), dans le cadre duquel des moteurs mis au rebut trouvaient une nouvelle vie en tant qu’objets générateurs de sons. J’avais entamé ce processus à l’occasion du projet antérieur « Made to Malfunction » (« Créé pour mal fonctionner »), qui s’inscrit davantage dans une démarche de sculpture cinétique. Dans ce projet, les moteurs démarraient de façon aléatoire grâce à une programmation Arduino. J’ai poursuivi ce processus en revenant à une de mes anciennes méthodes de transduction de signal sonore, dans le cadre de laquelle des sons amplifiés permettent d’activer des moteurs de façon imprévisible, comme s’ils fonctionnaient mal.
J’ai commencé ce type de projet, car je m’intéressais déjà à l’enregistrement de ce genre de sonorités – c’est-à-dire le son de machines qui ne fonctionneraient pas correctement et qui auraient une personnalité, comme un travailleur qu’on ne valoriserait pas et qui réaliserait ses tâches de mauvaise grâce. Mais je voulais également attirer l’attention sur notre rapport à la technologie, qui se caractérise de plus en plus par le gaspillage. Je pourrais parler longuement de ce sujet, mais pour résumer, l’ensemble des produits mis au rebut que j’ai récupérés fonctionnent encore. Les moteurs tournent toujours, alors pourquoi les a-t-on jetés ?
Pour en revenir à « Channelling », j’aime toujours explorer un endroit en découvrant les sons qui l’habitent, que ceux-ci soient audibles ou non. Les sons présentent souvent un caractère imprévisible, même lorsqu’il s’agit du bruit de la circulation : par conséquent, l’activité des moteurs était elle aussi imprévisible. J’ai ainsi l’impression de collaborer avec ces sons : je ne les contrôle pas, je travaille avec ce qu’ils produisent. Et j’aime ce défi qui consiste à intégrer dans le projet, à mesure que celui-ci évolue, des objets mis au rebut.
Qu’est-ce qui vous a donné l’idée/l’envie de poser votre candidature pour travailler en résidence à la HEAR et qu’espérez-vous retirer de cette expérience ?
Cela fait plusieurs années que j’entends parler des résidences à la HEAR et je connais un grand nombre d’artistes qui ont eu la chance d’y participer. L’équipe qui dirige la résidence est constituée d’artistes respectés aux profils variés, et je savais que travailler avec eux serait un plaisir. Mais l’objectif principal était de travailler avec des étudiants. Par le passé, j’ai dirigé des ateliers dédiés à l’écoute et à l’enregistrement de terrain, et j’ai été impressionné par la créativité dont les étudiants faisaient preuve au cours de ces sessions.
Dans « Channelling » et « Made to Malfunction », j’utilise une technologie que je ne comprends pas complètement moi-même, dans la mesure où je ne suis pas ingénieur. Je voulais montrer comment je faisais évoluer mon travail dans le cadre d’un atelier et partager les savoir-faire que j’ai acquis ; en retour, je souhaitais découvrir les démarches des étudiants ou de l’équipe – des démarches à la fois nouvelles et différentes dans le rapport à la technologie ou au processus artistique.
J’ai pour objectif d’organiser des présentations et des ateliers afin de permettre ce partage et de créer des sessions dédiées à l’utilisation d’appareils, en vue de proposer des ateliers à d’autres institutions ou dans le cadre d’évènements futurs.
Quelle relation entretenez-vous avec votre public ? Et quels types de conseils donneriez-vous à de jeunes artistes/étudiant·es qui travaillent sur le son ?
Je crois que j’ai toujours essayé de créer des œuvres que j’aurais voulu entendre ou dont j’aurais voulu faire l’expérience. C’est pourquoi j’espère que les membres du public ressentiront la même chose : j’espère que, dans une certaine mesure, ils seront intéressés, passionnés et divertis, quand bien même ils ne trouvent pas les sons agréables ou ne comprennent pas complètement le concept. Je veux offrir aux individus une expérience à laquelle ils repenseront les jours suivants.
Des conseils aux étudiant·es ? Remettez toujours tout en question, surtout lorsque quelqu’un vous dit qu’on ne peut pas faire les choses ainsi… Testez différentes idées et n’ayez pas peur de l’« échec » : tout résultat inattendu offre de nouvelles perspectives de travail ! Et surtout, prenez plaisir à ce que vous faites !
Site de Simon WhethamPropos recueillis par Anaïs Jean et Brice Jeannin • Publié le 13 janvier 2022