La pratique d’un instrument ou du chant commence souvent tôt et au fil du temps le corps s’use. C’est pourquoi l’Académie supérieure de musique de Strasbourg propose un tout nouveau cours de Méthode Feldenkrais afin d’aider ses étudiant·es à faire face à ce problème. Monica Taragano, flûtiste professionnelle et praticienne certifiée en Feldenkrais, nous explique.
Prendre conscience de soi par le mouvement pour être plus libres, disponibles et efficaces dans sa pratique artistique, voici ce que propose Monica Taragano aux étudiant·es musicien·nes grâce à sa maîtrise de la Méthode Feldenkrais.
Habiter son corps
L’intitulé exact que Moshé Feldenkrais a donné à ses cours collectifs est « Prise de conscience par le mouvement », trois mots qui résument l’essentiel. Dans cette pratique le mouvement n’est pas le but mais le moyen, un chemin privilégié pour développer les perceptions fines et le sens kinesthésique. La prise de conscience est centrale. Il s’agit tout d’abord de sentir, de (re)connaître, d’observer avec le plus de détail possible mais sans jugement, ce que l’on fait. Ensuite, les mouvements proposés dans chacune des leçons – parfois inhabituels, mais toujours très précis et étudiés – favorisent l’émergence de nouvelles possibilités, de nouvelles connexions entre les différentes parties de nous-mêmes, de meilleurs modes d’organisation, pour être plus efficaces dans l’action.
Monica, musicienne professionnelle, a constaté les bienfaits de la Méthode Feldenkrais dans sa pratique depuis plus de 20 ans : « Mon rapport à la musique a changé, je me sens plus épanouie et plus juste dans le jeu. Pour Moshé Feldenkrais, le geste juste est celui où il y a le moindre décalage entre l’intention et l’action. C’est tellement important pour nous les musicien·nes ! »
Avoir des choix
« Même si la seule façon de faire que nous connaissons est bonne en soi, nous devons en imaginer des nouvelles. », nous dit Feldenkrais. En cela, cette pratique amène vers plus de liberté, aussi bien d’un point de vue philosophique que d’un point de vue concret et pragmatique. Car la liberté c’est avoir des choix et la Méthode Feldenkrais apprend sans cesse à créer des variantes, à multiplier ses choix. Cette idée a une application très riche dans la pratique musicale. Au lieu de « se heurter à un mur » quand on n’arrive pas à jouer un passage difficile, on apprend à multiplier les stratégies, à apprivoiser la difficulté par l’exploration, par la mise en jeu des relations entre les différentes parties qui constituent le « problème ».
Cette approche systémique, holistique, globale, se retrouve dans d’autres aspects : « Prenons le cas d’un flûtiste dont le 5e doigt de la main droite est très raide, ce qui l’empêche de jouer des passages rapides, ou l’oblige à dépenser beaucoup d’énergie dans la tenue de l’instrument. On ne travaillera pas sur le symptôme isolé – le doigt. On n’essayera pas non plus de corriger de l’extérieur. On travaillera plutôt sur l’organisation globale, sur la relation entre les différentes parties : comment le doigt est en relation avec le poignet, avec le bras, avec la colonne vertébrale ? Où sont les appuis ? Bref, comment la personne pourrait se réorganiser de l’intérieur pour que ce petit doigt puisse s’arrondir ? Qu’est-ce qu’il faut changer ailleurs ? Car le corps est un tout, un système qui peut être organisé et réorganisé pour limiter la casse au fil du temps. »
La Méthode Feldenkrais à l’Académie de musique
Tout au long de l’année, les étudiant·es inscrit·es suivent 42 heures de cours (4 modules en présentiel de 10h chacun et un module de 2h en distanciel). Le premier module a eu lieu en septembre, le deuxième se déroule fin novembre, les deux derniers en février et avril 2022. Chaque module est « une petite aventure en soi », composée d’un programme établi par Monica mais adaptée aux besoins et demandes des participant·es. « Après le premier module, très intense, les retours ont été positifs. Certains élèves ont mentionné avoir mieux ressenti la force du bassin, la possibilité de s’organiser à partir du centre du corps et la liberté que cela engendre pour les bras et les mains, avec les bienfaits évidents pour les musicien·nes dont la dextérité digitale est tellement sollicitée. D’autres ont témoigné de sensations d’ouverture de nouvelles perspectives, de la possibilité d’explorer de nouveaux chemins en eux-mêmes. D’autres enfin ont fait part de leurs difficultés à se sentir, ce qui est déjà une première clé ! C’était très émouvant. »
Cette méthode apporte donc un mieux-être à titre individuel et, par conséquent, aussi au niveau collectif, puisque se relier à soi-même est le premier pas pour se relier aux autres. En musique, on est rarement seul·e en scène et pour le jeu en groupe la Méthode Feldenkrais peut également être utile : « C’est effectivement bon pour la pratique en orchestre, par exemple pour faciliter la tenue d’une position dans la longue durée, mais aussi pour générer de l’équilibre et de l’harmonie dans le groupe. »
Pour cette année, les cours dispensés à l’Académie sont uniquement collectifs, mais la Méthode Feldenkrais propose aussi un travail individuel appelé « Intégration fonctionnelle ». Une perspective à envisager pour les futurs programmes ? Restons à l’écoute…
Anaïs Jean • Publié le 04 novembre 2021