Le catalogue des diplômes 2024 a été réalisé par Camille Deriaz et Léa Chemarin, toutes deux diplômées de l’atelier de Communication graphique. L’ouvrage se développe sous la forme de surfaces, de zones de cohabitation. Former des passerelles entre les idées, allier les résistances, définir des terrains d’entente et de collaboration se traduit par la rencontre d’un motif avec un autre, d’une couleur avec une autre, la formation d’une trame, d’un tissu ou paysage visuel.
L’édito de Stéphane Sauzedde, directeur de la Haute école des arts du Rhin
Main gauche
Cette année, le catalogue que vous avez en main est produit à l’occasion du nouvellement nommé « Festival des diplômes », appelé ainsi à cause de la pluralité des formes artistiques proposées (concerts, expositions, performances, etc.), parce que se déployant dans trois villes pendant plus d’une semaine, mais aussi, surtout, parce qu’être diplômé·e de la HEAR doit donner lieu à une fête – ce que veut dire initialement le mot « festival ». Mais que fête-t-on au juste lorsque de jeunes diplômé·es commencent leurs carrières d’artistes, de musicien·nes, de designers, de scénographes, d’illustrateur·rices, de réalisateur·rices, de poètes·ses, etc. ? Fête-on un diplôme difficile à obtenir ? Célèbre-t-on l’arrivée dans la société de 166 créateur·rices professionnel·les ? Ou bien cette fête sert-elle à se donner de la force, et, comme dans tout rite de passage, célébrer le changement avec joie pour conjurer la peur de ce qui vient ?
Parce qu’en vérité, ce qui attend les diplômé·es d’une école supérieure de la création en 2024 est ambivalent. Jamais en effet les artistes n’ont été si nécessaires à l’époque et donc attendu·es avec bienveillance. Mais dans l’exact même temps, les discours sur les frontières, les forces armées, l’autorité, etc. saturent l’espace médiatique et mental et rétrécissent les possibles… Les historien·nes rapportent que le backlash des années 1980 ressemblait à cela, et ce « retour de bâton » suivant les années 1970 stoppait alors tout un ensemble de dynamiques…
En 1983, la grande autrice féministe Ursula K. Le Guin¹ était invitée à la remise des diplômes du Mills College et s’adressant alors aux diplômé·es, elle évoquait les temps troublés à venir : « Ce que j’espère pour vous […] c’est que vous serez capables (de) vivre dans ces ténèbres. De vivre dans ce lieu que notre culture de la réussite et de la rationalisation nie et qualifie de terre d’exil, inhabitable, étrangère. […] J’espère que vous vous y sentirez chez vous, que vous y ferez votre maison, que vous y serez votre propre maîtresse, que vous y aurez une chambre à vous. Que vous y ferez votre travail, quel que soit votre domaine de compétence, arts, sciences, technologie, diriger une entreprise ou balayer sous les lits. […] Et quand vous serez dans les ténèbres, alors, j’espère, vous vous rappellerez que les ténèbres sont votre pays, là où vous habitez, là où nulle guerre ne se livre et nulle guerre ne se gagne, mais là où se trouve l’avenir. Nos racines plongent dans le noir ; la terre est notre contrée. Pourquoi cherchons-nous la récompense dans les hauteurs au lieu de regarder vers le bas, au lieu de regarder autour de nous ? C’est là que gisent nos espoirs. Pas dans le ciel arsenal et ses yeux espions en orbite, mais dans la terre que nous avons regardée de haut. Ils ne viendront pas d’au-dessus mais d’en dessous. Ils ne seront pas dans la lumière qui aveugle, mais dans l’obscurité qui nourrit, là où les humains acquièrent une âme humaine. »
Nous ne sommes plus en 1983 et le « ciel arsenal » n’est plus celui de la politique militaire de Ronald Reagan. Mais l’époque est tout aussi trouble et les artistes et créateur·rices qui sont aujourd’hui diplomé·es ont appris à « regarder vers le bas », jusqu’à s’ancrer « dans la terre », effectivement, pour beaucoup. Les pages qui suivent permettent d’avoir un aperçu de ces pratiques terrestres.
Left hand
This year, the catalog you’re holding has been produced for the newly-named “Graduation Festival”, so named because of the plurality of artistic forms on offer (concerts, exhibitions, performances, etc.), because it takes place in three cities over a period of more than a week, but also, and above all, because graduating from HEAR should give rise to a celebration – which is what the word “festival” originally meant. But what exactly are we celebrating when young graduates begin their careers as artists, musicians, designers, scenographers, illustrators, directors, poets and so on ? Are we celebrating a diploma that’s hard to get ? Are we celebrating the arrival in society of 166 professional creators ? Or is it an empowerment celebration, and, as in all rites of passage, a joyful celebration of change to ward off fear of what’s to come ?
Because, in truth, what awaits graduates of an art school in 2024 is ambivalent. Never before have artists been so necessary to our times, and so eagerly awaited. But at the same time, talk of borders, armed forces, authority and so on is saturating media and mental space, and narrowing down what is possible… Historians report that the backlash of the 1980s resembled this, and brought a whole set of dynamics to a halt…
In 1983, the great feminist author Ursula K. Le Guin² was invited to the graduation ceremony at Mills College,and addressing the graduates, she spoke of the troubled times to come : “What I hope for you […] is that you will be able to live in the dark place. To live in this place that our rationalizing culture of success denies, calling it a place of exile, uninhabitable, foreign […] I hope that you will be at home there, keep house there, be your own mistress, with a room of your own […] And when you’re in the dark, then I hope you will remember that darkness is your country, where you live, where no wars are fought and no wars are won, but where the future is. Our roots are in the dark; the earth is our country.
Why did we look up for blessing — instead of around, and down ? What hope we have lies there. Not in the sky full of orbiting spy-eyes and weaponry, but in the earth we have looked down upon. Not from above, but from below. Not in the light that blinds, but in the dark that nourishes, where human beings grow human souls.”
It’s no longer 1983, and the “orbiting spy-eyes and weaponry” is no longer that of Ronald Reagan’s military policy. But the times are just as troubled, and the artists and creators who have graduated today have learned to look “around and down”, to the point of being “rooted in the earth”, indeed, for many. The following pages offer a glimpse into these earthly practices.
Présentation
182 pages en couleurs. 20€
ISBN : 979-10-95050-37-7
Mis en ligne le 11 juillet 2024